Pendant la saison fraîche
et en hiver s'éveillant le matin on doit, à jeun,
s'exercer au chant. |
Le Gîtâlamkâra (1) |
L'art musical participe
de l'essence même de la culture et de la civilisation indienne. Au bout
de trois mille ans d'existence, il est si profondément enraciné,
incarné pourrait-on dire, qu'il ne peut être dissocié de
l'environnement culturel et philosophique où il a vu le jour. Il a aussi,
grâce à l'amour des Indiens pour les mots, à leur goût
de la classification et de la théorisation des phénomènes
artistiques, été élevé au rang d'une véritable
science, étudiée et développée comme moyen d'accession
à un niveau de conscience plus élevé. Dans l'Inde ancienne,
la musique est Samgîtasâstra, que l'on peut traduire par
"la science du concert". Effectivement plus qu'un simple objet d'écoute,
elle est l'actrice et l'objet d'un événement total, dans lequel
l'auditoire participe à l'égal des musiciens, et dont chaque ingrédient
est porté à un raffinement si extrême, qu'il est à
la fois source de plaisir esthétique, d'élévation mystique,
et d'expertise scientifique. Sa littérature immense et sa tradition ancienne
et élaborée, son extrême finesse et virtuosité, ainsi
que ses nobles aspirations spirituelles, lui ont valu le titre justifié
de musique classique. Et même si elle n'est écoutée que
par une petite fraction de la population, elle forme cependant la base de la
quasi-totalité des musiques pratiquées en Inde.
Peuple poétique par excellence, les Indiens
ne pouvaient que donner une place importante à la musique dans leur vie
quotidienne. Elle est présente dans chaque cérémonie importante,
depuis la naissance jusqu'à l'initiation, pendant les fêtes du
mariage et à l'heure du décès. Elle existe également
à travers un grand nombre de chansons liées au travail manuel
et agricole, une musique dépourvue d'auditoire qui n'est là que
pour servir d'exutoire aux brimades sociales et familiales, s'attirer de bons
auspices, ou tout simplement se donner du courage. La musique s'exerce aussi
dans la rue, à l'occasion des innombrables fêtes et processions
religieuses, mais aussi à travers les chants dévotionnels des
mendiants et des musiciens itinérants, sans oublier les magiciens, les
charmeurs de serpent, les conteurs, les acrobates. Les chansons des films du
cinéma indien jouissent aussi d'une extraordinaire popularité,
et sont entendues partout, dans les rues, les bus, les échoppes, diffusées
par les radiocassettes. Enfin, aujourd'hui encore, des troupes de théâtre
itinérantes jouent et rejouent, accompagnés de musique, les épisodes
des grands mythes fondateurs de l'Inde.
Comme
pour toute chose en Inde, il ne manque pas, pour attester de l'origine divine
de la musique, de belles histoires dans lesquelles les dieux tutélaires
du pays prennent toute leur place. La mythologie hindoue est remplie de chanteurs
et musiciens célestes, comme les gandharvas qui jouent de la vîna,
enseignent la science musicale, et sont au plus près des dieux. Par la
volonté de Brahma, Vishnou, et Shiva, la fameuse trinité des dieux
hindous, l'art musical fut incarné sur la terre par le sage Nârada.
Présent dans un grand nombre d'histoires mythologiques, il est le créateur
de la vîna, le chef des musiciens célestes, et l'auteur
de plusieurs ouvrages sur la théorie musicale. Par ailleurs, la vîna
est l'attribut de certaines déesses parmi lesquelles Sârasvatî,
la déesse de la parole, des arts et du savoir, et Pârvatî,
la compagne de Shiva. Cette dernière est au coeur d'une très belle
légende sur la musique : « Shiva trouva un jour sa femme Pârvatî
qui se reposait de la manière la plus gracieuse. Sa respiration était
comme une douce musique ; sa poitrine exquise se soulevait et s'abaissait en
rythme. Des sons mélodieux naissaient du mouvement de ses bras et de
ses poignets chargés de bracelets. Shiva fut étourdi par cette
vision enchanteresse, et il la regarda longtemps en silence. L'impression créée
dans son esprit fut telle qu'il ne trouva pas la paix avant d'avoir conçu
un moyen de reproduire pour toujours la beauté observée. Le résultat
fut la vîna, un instrument de musique, dont le long manche représente
le corps droit et leste de Pârvatî, les deux gourdes de support
ses seins, les frettes en métal ses bracelets, et, le plus éloquent
de tout, le son généré par l'instrument est réputé
reproduire la respiration rythmique de Pârvatî. »(2)
Fondamentalement, la mythologie hindoue assigne
au premier son OM (nâda brahmâ) l'origine de la musique.
Unifié aux rythmes de l'univers, ce son primordial est à la fois
le créateur et le principe actif de la forme, et donc par extension,
de la nature. L'origine de la musique en Inde est inséparable des pratiques
rituelles de la vie religieuse. Elle remonte au temps des Veda, cet ensemble
de recueils composés d'hymnes en sanskrit, en vers ou en prose, et dont
le très ancien Rg-Veda date d'au moins 1500 av. J.-C. D'autres
recueils suivirent, au contenu dérivé du Rg-Veda, dont
le Yajur Veda ("Veda des formules sacrificielles"), et surtout
le Sâma Veda ("Veda des mélodies"), composé
de 1900 versets appelés samans, et qui, par sa fonction liturgique,
était de loin le Veda le plus musical. Au cours de rites complexes
qui pouvaient durer plusieurs jours, ces hymnes étaient psalmodiés
par les prêtres officiants pour s'attirer les faveurs des Dieux. Le développement
de la musique est alors profondément lié à celui de la
prosodie et des mètres de la poésie. Un mode de récitation
chantée est ainsi élaboré (sama gana) qui allie
rythme, accents, durée des syllabes longues ou brèves, et l'utilisation
pour le Rg-Veda de trois notes : la note de base (udatta), celle
au degré inférieur (anudatta), et celle au degré
supérieur (svarita). Le Sâma Veda, plus musical,
utilisait 5, 6, voire 7 notes, qui sont à l'origine de la gamme complète
de sept notes de la musique classique et séculaire à venir. La
littérature védique établit aussi l'existence de danses,
de musiciens professionnels, et d'une grande variété d'instruments,
dont la célèbre et très sophistiquée vîna.
Ces récitations anciennes de mantras, qui avaient dit-on le pouvoir de
contrôler les forces de la nature, devaient être parfaitement exécutées
sous peine de conséquences désastreuses. Cet art, transmis oralement
d'une génération à l'autre, est encore pratiqué
de nos jours en certaines occasions, et représente tout ce qu'il nous
reste aujourd'hui de la musique de cette époque. Le philosophe indien
Jiddu Krishnamurti a rendu toute la force de ces chants dans ce passage empli
d'une grande clairvoyance et poésie : « Quatre hommes psalmodiaient,
et c'était magnifique. (...) Le son de chaque mot avait une grande profondeur.
Non pas la résonance d'un instrument à cordes, ou d'un tambour,
mais la profondeur d'une voix humaine vivante et sensible à la signification
de ces mots sanctifiés par l'usage et le temps. Ils chantaient dans ce
langage qu'un poli immémorial a rendu parfait et cela remplissait la
pièce immense, et pénétrait les murs, le jardin, l'esprit
et le coeur. (...) Ce son n'avait rien d'une berceuse, mais vous secouait au
contraire presque douloureusement. Il y avait là cette dimension de profondeur
et de beauté que l'on retrouve dans le son pur que n'altèrent
ni les applaudissements, ni la célébrité, ni le monde.
C'était de ce son que naissait toute musique, toute mélodie.
»(3)
A la fin de la période védique,
les premiers traités sur la théorie musicale vont éloigner
la musique de son cadre strictement rituel pour l'engager sur la voie d'une
certaine sécularisation. Le premier document d'importance est le Nâtya-shâstra
("traité sur l'art dramatique"), composé par Bharata
au IIème siècle de notre ère. Il met en avant l'unité
du théâtre, de la danse, de la musique, et de la mimique, qui forment
un art total. Y sont expliqués et analysés les sept notes (svara)
et leurs noms toujours en usage aujourd'hui, les 22 micro-intervalles (shruti),
les types d'instruments (atodya). Il est le premier à décrire
un système basé sur les modes (jati), eux-mêmes élaborés
à partir de gammes (murcchana) dont la couleur tonale (râga)
est associée à des sentiments particuliers (rasa). Le terme
râga, qui désigne une notion fondamentale dans la musique
classique indienne, apparaît ici pour la première fois. La musique,
que l'on appelle alors gandharva, du nom des musiciens célestes
de la mythologie, est définie comme « une combinaison de cordes
et d'autres instruments, avec trois composants principaux qui sont svara
(notes), tala (rythme), et pada (mètres) ».
Les shiksha sont des manuels (sûtra)
dédiés aux différentes sciences védiques. Ils avaient
pour fonction de guider les étudiants dans leur prononciation correcte
des hymnes des veda, seul gage d'une transmission orale efficace. L'un
d'eux, le Naradiya Shiksha, écrit par un certain Narada vers le
Ier siècle, donne de nombreuses informations sur l'évolution de
la musique, et souligne déjà l'importance de certaines heures
ou périodes dans l'interprétation musicale. La littérature,
qu'elle soit religieuse ou profane, contient également de nombreuses
références à la musique. Des deux grands poèmes
épiques que sont le Mahâbhârata et le Râmâyana,
ce dernier est, comme nous l'explique Isabelle Clinquart, le plus riche d'informations
: « Dans le Râmâyana, la ville d'Ayodhya est vibrante des
sons d'instruments tels la vîna et le mrdangam (percussion). Concerts
et récitals de danse animent les cours royales. Les sages sont décrits
comme des experts dans les sciences musicales et toutes les cérémonies
sont associées à des musiques appropriées. Les effets psychologiques
de la musique et sa capacité à susciter des émotions sont
dépeints. »(4) Le texte contient
également de nombreuses métaphores musicales, notamment dans la
description des phénomènes naturels comme le bourdonnement des
abeilles ou le grondement du tonnerre. Les renseignements musicologiques abondent
également dans les oeuvres littéraires des académies de
poètes appelées Sangam, au sud de l'Inde, ainsi que dans
le Tolkappiyam, une grammaire de la langue tamoule. L'importante littérature
religieuse des purânas, qui nous renseigne sur l'histoire des dieux
et les rituels, apporte aussi son lot d'informations, tout comme les oeuvres
poétiques ou dramaturgiques plus récréatives comme les
contes bouddhiques de Jataka, les fables du Panchatantra, ou les
oeuvres du théâtre classique indien en plein essor. Pendant l'âge
d'or artistique de la dynastie des Guptas vers le Vème siècle,
le chant, la musique et la danse accompagnaient les oeuvres des grands dramaturges
comme Kâlidâsa, et des musiciens étaient rattachés
à la cour des rois. Cependant, quelle qu'ait été la place
de la musique comme art profane, la tradition n'a cessé de rappeler qu'elle
ne peut être destinée à l'amusement, et qu'elle doit être
jouée dans le seul but de réjouir les dieux.
Comme on a pu le voir, le temple et la scène
ont incontestablement été les deux grandes écoles de la
musique indienne. Madame Humbert-Sauvageot pousse plus loin l'explication et
l'analyse de cette double appartenance : « Dans ses plus lointaines
écritures, les mondes des sonorités, des gestes et des formes
apparaissent aux hommes comme des manifestations de la vie divine et causes
de joies éternellement renouvelées au milieu des vicissitudes
de l'existence terrestre. Ce sont des Archétypes qui se révèlent
sans cesse, et c'est pour cette raison que la métaphysique, la dévotion,
la musique, la danse et les arts scéniques sont liés à
jamais. Chaque beauté exprimée par le son ou le geste avec toute
la perfection dont on est capable est une offrande reconnaissante aux dieux.
»(5) Un autre traité sur la musique,
le Brhaddeshi, composé par Matanga vers le VIème siècle,
va décrire et affiner plus avant toutes les théories musicales
connues jusqu'alors, et être à l'origine d'une évolution
décisive. La musique classique de cette époque, principalement
associée à la danse, au jeu, et au mime, était confinée
à l'intérieur des règles rigides de la performance théâtrale.
Matanga concentra alors ses études sur la musique deshi, dont
il donna la définition suivante : « Ce qui est chanté
volontairement et avec bonheur et délice par les femmes, les enfants,
les bergers et les rois, dans leurs régions respectives ».
A partir de cette période, la musique a certainement pris une direction
plus autonome, qui lui vaudra d'être chantée, étudiée,
et appréciée aussi pour elle-même et pas seulement dans
le cadre de rituels ou comme accompagnement de la danse ou du théâtre.
Objet de raffinement spirituel et intellectuel,
la musique est en Inde tenue en très haute estime. D'ailleurs, le chant
et la musique instrumentale sont en tête des 64 arts du Kâma-Sûtra,
juste devant la danse. Toute entière dévouée à la
mélodie et au rythme, la musique indienne reste étrangère
aux concepts d'harmonie et de contrepoint si essentiels à la musique
occidentale. Mais, comme l'a écrit le célèbre violoniste
Yehudi Menuhin : « Dans le domaine de la mélodie et du rythme,
la musique indienne a depuis longtemps atteint une sophistication complexe que
la musique occidentale a seulement, au vingtième siècle, avec
les travaux de Bartok et Stravinsky, commencé à explorer.
»(6) Ce choix musical ne doit rien au hasard,
mais puise ses origines au plus profond de la philosophie et de la spiritualité
de l'Inde. Le but de chaque hindou est de parvenir, à travers une divinité,
une pratique religieuse ou artistique, à se libérer de son moi
individuel et à s'unir à sa véritable nature divine. Cette
quête individuelle et linéaire trouve sa juste correspondance musicale
dans l'importance accordée à la mélodie, et justifie le
caractère intrinsèquement soliste de la musique indienne, pour
laquelle il n'existe ni orchestre, ni chorale. A travers l'art musical, c'est
tout un monde de chants dévotionnels, de textes de louanges, et de réflexions
philosophiques qui s'est perpétué jusqu'à nos jours, et
le bénéfice spirituel que l'on peut retirer de la pratique musicale
est maintes fois attesté dans les textes. Le Yajnavalkya Smriti
(7) assure : « Celui qui connaît
le sens profond du son du luth, qui est expert dans les intervalles et dans
les échelles modales, qui connaît les rythmes, voyage sans effort
sur le chemin vers la libération. » Auquel répondent,
presque deux mille ans plus tard, ces mots de Yehudi Menuhin sur la musique
indienne : « Son objectif est d'affiner l'âme et de discipliner
le corps, de nous rendre sensible à l'infini au-dedans de nous, d'unir
notre souffle au souffle de l'espace, nos vibrations aux vibrations du cosmos.
»(8) L'aura spirituel de la musique est telle
que sa présence dans la littérature indienne a été,
par-delà les âges, constante. Le grand poète Rabindranath
Tagore (1861-1941), également musicien et compositeur de chansons toujours
populaires dans le Bengale d'aujourd'hui, a très largement inscrit la
musique au coeur même de ses poèmes, en une déferlante de
métaphores plus belles les unes que les autres : « Hier, l'Eternel
Musicien emplissait du Chant de Sa Vina la solitude et les ténèbres
de la nuit sans lune ; et moi, seul à l'orée de Son univers, j'écoutais.
Dans un ciel illimité, le Jeu divin faisait vibrer les étoiles
et les tissait en une symphonie aux notes inaudibles. »(9)
S'il est, dans la poésie de Tagore, souvent
question de chant, ou de chanter, c'est parce que la voix est l'instrument suprême
de la musique indienne. Depuis des temps immémoriaux, c'est elle qui
chante les hymnes sacrés et les poèmes dévotionnels. Dans
la tradition indienne, tout musicien a une formation vocale de base, et les
instruments sont considérés comme de simples extensions de la
voix. Le chanteur ne recherche pas, comme c'est le cas en Occident, une beauté
mélodique qui soit chantante, ou une puissance vocale particulière,
mais utilise sa voix comme un moyen d'exploration de la mélodie. Le chant
lui-même est le plus important. Il est d'ailleurs plutôt une musique
chantée, car le musicien joue de sa voix comme d'un instrument, et n'accorde
que peu d'importance au texte, qui est souvent remplacé par de simples
syllabes conventionnelles dépourvues de sens ou par les noms mêmes
des notes. La prééminence de la voix est manifeste à la
lecture des anciens traités musicaux comme le Gîtâlamkâra.
Y sont décrits longuement et en détails les qualités et
les défauts du chant, les remèdes nécessaires à
la pureté de la voix, et bien d'autres renseignements dont la liste traduit
le degré d'érudition et d'expérience déjà
atteint dans ce domaine il y a plus de deux mille ans.
L'art musical n'est pas en Inde le champ d'une
expression individuelle. Le musicien se doit avant tout de porter la parole
d'une tradition spirituelle ancienne, et de perpétuer la science et la
maestria d'un art raffiné. D'essence traditionnelle et élitiste,
la musique classique indienne est de surcroît non écrite. Elle
nécessite donc un apprentissage oral, et se transmet directement de maître
(guru) à élève (shishya), généralement
au sein d'une structure appelée gurukulam, qui signifie littéralement
"maison du maître". En habitant chez son maître, l'élève
peut ainsi tout à loisir écouter, répéter et assimiler
chaque nuance, chaque difficulté, tout en se familiarisant progressivement
avec une des grandes spécificités de la pratique musicale indienne,
l'improvisation. Les frères Dagar, illustres représentants d'une
tradition vocale de l'Inde du nord, décrivent ainsi leur vie auprès
de leurs maîtres : « Dès l'âge de cinq ou six ans,
ils nous faisaient asseoir avec eux le matin et nous les écoutions travailler
inlassablement. Notre oreille s'habituait peu à peu à percevoir
et à différencier les sons. Ensuite ils nous faisaient chanter
une seule note. "Sa", la tonique, puis deux, puis trois, et
ainsi de suite. Depuis la plus tendre enfance, nous étions plongés
dans la musique, qui devenait pour nous quelque chose d'aussi vital que de respirer
ou de manger. Parfois, nos maîtres nous enseignaient un exercice et nous
le faisaient répéter des heures durant dans un coin de la maison.
Si nous le faisions mal, ils venaient nous corriger jusqu'à ce que nous
soyons capables de le répéter à la perfection. Puis ils
nous en montraient une variante, puis une autre, et encore une autre...
»(10)
Les nombreux traités musicaux qui se sont
succédés en Inde ne doivent pas nous faire oublier que la musique
est avant tout affaire de pratique et de tradition. La théorie n'est
là que pour comprendre et analyser un savoir-faire musical riche et complexe,
évoluant sans cesse. L'octave connaît en Inde une division de 22
micro-intervalles appelés shruti. Tous ces shrutis ne sont
cependant pas utilisés à l'intérieur d'une même gamme.
Tout comme les autres principales traditions musicales, la musique indienne
utilise une division de l'octave en sept notes (svara) : sa, ri,
ga, ma, pa, dha, ni, correspondant aux premières
syllabes de leurs noms sanskrits originaux. Ce système d'appellation
fut repris au XIème siècle en Europe par Guido d'Arezzo, qui utilisa,
pour désigner les notes, les premières syllabes des vers d'un
hymne à Saint-Jean-Baptiste : « UT queant laxis. REsonare
fibris. MIra gestorum... » Chaque note en Inde est associée
à des couleurs, des animaux, des dieux, et même à certaines
parties du corps. Ainsi, la note sa provient du sanskrit shadhja
qui signifie "née de six organes". Elle est associée
au cri du paon, à la couleur rouge du pétale de lotus, et fut
chantée par Agni, le dieu du feu. De même, ri, qui vient
de rishabha, "celle qui est vive", est associée au meuglement
de la vache, à la couleur jaune-vert comme le perroquet, et au Dieu Brahmâ.
Quant à pa (panchama), "la cinquième",
elle est associée au cri du kokila (coucou indien), à la
couleur noire, et au sage Nârada.(11) Aux
sept notes qui forment l'octave de base (saptasvara ou saptak)
viennent s'ajouter cinq demi-tons — sa et pa étant inaltérables
—, ce qui porte à douze le nombre total de notes utilisées dans
une octave (svarasthâna). L'originalité du système
indien est que la note tonique, sa, n'a pas de hauteur ou de fréquence
fixe. Elle est donc choisie par le musicien parmi les 22 shrutis à
sa disposition, les autres notes venant s'échelonner à sa suite.
Les différentes gammes, une dizaine environ dans la musique du nord de
l'Inde et soixante-douze dans le sud, n'ont de véritable utilité
que de servir de base au râga, le principe roi de la musique indienne.
Râga est un terme sanskrit qui signifie
"couleur", "attrait", et dont une maxime célèbre
fournit une définition plus précise : « Ce qui colore
l'esprit est un râga. » Un râga peut être
décrit comme un ensemble sophistiqué et subtil de notes, de sons
mélodiques, et d'une quantité d'autres éléments
dont la fonction est de créer, d'imprimer chez le musicien, et donc l'auditeur,
un sentiment particulier. Concept phare de la musique classique indienne, son
développement est lié au rasa, "saveur", auquel
René Daumal donne la définition suivante : « Un moment
de conscience provoqué par les moyens de l'art et coloré par un
sentiment. »(12) Les rasas, au
nombre de neuf (navarasa), se déclinent de la façon suivante
: Erotique (shringâra), Héroïque (vîra),
Répugnant (bîbhatsa), Furieux (raudra), Comique (hâsya),
Effrayant (bhayânaka), Pathétique (karuna), Merveilleux
(adbhuta), Paisible (shânta). Le râga, qui
n'est ni véritablement une gamme ou un mode, est composé d'une
série de 5 à 7 notes choisies comme étant porteuses d'un
climat émotionnel particulier, arrangées en un mouvement ascendant
(ârôhana) et descendant (avarôhana), et distribuées
selon une hiérarchie de valeurs dominantes, secondaires, ou dissonantes.
Comme le dit joliment Mme Humbert-Sauvageot : « Sa tonique est un roi
(vâdi) disposant de premiers ministres infaillibles (samvâdi),
d'un peuple fidèle (anuvâdi), et même d'ennemis héréditaires
(vivâdi). »(13) Entrent également
dans la définition d'un râga le tempo ou le texte, qui avec
les notes définissent le sentiment, et certaines phrases musicales reconnaissables.
Traditionnellement, les râgas sont associés à des
saisons ou à certains moments de la journée dont l'ambiance naturelle
entre en harmonie avec le sentiment évoqué, et pendant lesquels
ils doivent être joués. Ainsi, le râga Shri s'écoute
en hiver, en début de soirée, et apporte le calme. Le râga
Bhairav est associé à l'aurore et assure la paix et la tranquillité.
Quant au râga Malkauns, il est joué après minuit
et représente le sentiment héroïque. Certains râgas
étaient même parés de pouvoirs surnaturels, comme ceux de
faire venir la pluie, le feu, ou bien d'autres choses colportées par
les légendes. Ces entités que sont les râgas,
avec leurs sentiments particuliers, leurs heures ou leurs saisons, ont inspiré
des poèmes symbolisant, par des formes humaines ou des paysages particuliers,
l'atmosphère générée par le mode. Ainsi, le râga
Lalitâ, des premières heures du jour : « Lalitâ,
jeune et belle, porte un collier de sept sortes de fleurs. Ses yeux sont allongés
comme les pétales du lotus. Vêtue encore pour un rendez-vous d'amour,
elle soupire à l'aurore, vaincue par le destin. »(14)
A partir des XVème et XVIème siècles, les artistes ont
exploité ces poèmes en des séries de peintures appelées
ragamala, "guirlande de râgas", représentant
les différents râgas et leurs aspects féminins, les
râginis. Le nombre de râgas existant est impossible
à déterminer, tant sont nombreuses les combinaisons possibles,
mais on considère que moins de cent cinquante sont utilisés de
nos jours. Ils doivent leurs noms à différentes sources comme
le nom du créateur ou d'une déité, le lieu d'origine, ou
leur moment propice : "Semblable au dieu Indra", "Beauté
du soir", "Ivresse", "Printemps", etc. Dans la pratique,
le musicien est seul capable de s'emparer du râga et de le faire
vivre, de lui instiller le souffle (prana) qui le fera exister. Un processus
que décrit remarquablement Alain Daniélou : « Le musicien
s'exerce d'abord à prendre conscience des notes du mode. Il présente
ces notes longuement, l'une après l'autre, en un adagio très élaboré.
Au bout d'un moment l'échelle du mode devient une image mentale : c'est
la perception du râga. A ce moment les intervalles prennent une
extrême précision, une signification émotionnelle définie.
Il devient presque impossible au musicien de détonner, de jouer ou chanter
une note qui ne fasse pas partie du mode. Ses auditeurs sont également
saisis par le sentiment du râga. »(15)
Mais il manque encore au râga un élément important
pour être véritablement efficace. Ce sont les fameux gamakas,
ces ornements et ces motifs qui, en ajoutant les lumières et les ombres,
sont la vie même du râga. Il en existe une bonne dizaine
de formes différentes, toutes précisément décrites
et nommées, et que nous pouvons entendre dans chaque composition musicale
en une série de tremblements, de glissements, d'attaques, d'ondulations,
de cascades vocales, qui vont de la spectaculaire poignée de notes lancée
aux quatre vents à l'oscillation si infime qu'elle semble inaudible.
Comme pour les autres domaines de la vie quotidienne,
la musique indienne n'a jamais séparé l'aspect spirituel, aérien,
contenu dans la mélodie, de son pendant physique et plus terrestre, le
rythme. La notion plutôt éthérée de râga
est donc venue s'enrichir de celle, plus charnelle, du tâla. Ce
terme, qui signifie en sanskrit "frapper dans les mains", symbolise,
par la contraction de tandava et lasya,
les danses respectives de Shiva et de sa consoeur Parvati, l'union de la divinité
avec sa shakti, son principe d'énergie. Ainsi le tâla,
deuxième grand concept de la musique indienne, apporte au râga
l'énergie nécessaire à une musique équilibrée
et harmonieuse. Le tâla est directement influencé par la
métrique poétique sanskrite et ses syllabes (akshara) de
longueurs différentes.(16) Il forme un cycle
rythmique complet composé d'un nombre de temps (matra) soumis
à des degrés d'accentuation divers, et ordonnés à
l'intérieur de différentes sections (vibhaga). Pour se
repérer à l'intérieur des cycles, l'audience utilise des
mouvements particuliers de la main. Ainsi, dans le nord de l'Inde, le premier
temps de chaque section est marqué en frappant la main sur la cuisse
(sashabda kriya), avec un accent plus fort (sum) porté
sur le premier temps du tâla, et un temps "vide" (khali)
à mi-cycle, signalé d'un geste aérien de la main (nishabda
kriya). Dans le sud, le tâla est fractionné en différents
angas : anudhrutha (un temps, signalé par une frappe sur
la cuisse), dhrutha (deux temps, signalés par une frappe et un
geste aérien), et laghu (3, 4, 5, 7 ou 9 temps, une frappe puis
le décompte des autres temps avec les doigts). Il existe plus d'une centaine
de tâlas différents, même si une douzaine seulement
sont couramment utilisés, et chacun d'entre eux porte un nom particulier.
Les plus fréquents sont tîn tâla, composé de
16 temps organisés en 4 sections : (4+4+4+4), et âdi tâla, formé d'un laghu
de 4 temps et de deux dhrutha de 2 temps, soit 8 temps : (4+2+2). Il existe des tâlas de 3 à 108 temps,
même si les plus longs ne sont que très rarement joués,
et d'autres qui ne diffèrent que par le nombre de temps dans chaque section,
comme les tâlas à 14 temps dhamar (5+2+3+4) et dipchandi (3+4+3+4). A cette organisation de base s'ajoute
un autre élément fondamental, le tempo (laya). Trois tempos
sont employés : lent (vilambit), moyen (madhya), et rapide
(drut), avec des vitesses pouvant varier en valeur de 1 à 72.
La culture musicale du public permet des joutes rythmiques particulièrement
savoureuses, comme en témoigne Yehudi Menuhin : « Le musicien,
ayant choisi un tâla à onze temps, va alors improviser par
groupes de dix, laissant à l'audience le soin de marquer le rythme initial,
ce qu'elle fait, imperturbable, avec une intarissable justesse. Cela devient
un jeu dans lequel chacun essaie de faire perdre le rythme à l'autre,
une sorte de course intellectuelle dans laquelle une assiduité parfaite
fait se tenir à l'écart deux rythmes qui débutent ensemble,
se séparent, et puis convergent. L'excitation s'intensifie jusqu'à
ce qu'au 110ème temps, quand les deux rythmes se rencontrent enfin, un
formidable Ha ! d'allégresse s'échappe de l'audience. »(17) Si le râga est l'âme de la musique
indienne, le tâla lui apporte un élan dynamique porteur
d'émotions propres, et une cadence qui semble mettre le monde en mouvement.
L'accompagnement rythmique est en Inde d'une finesse et d'une complexité
sans égal. Quinze ans d'apprentissage et de pratique sont nécessaires
pour former le joueur de tambour aux savants rythmes indiens. Les syllabes rythmiques
jouées sur le tabla, un tambour très populaire dans le nord de
l'Inde, sont appelées bol ("parler" en hindi), et nécessitent
une grande variété de frappes différentes, toutes minutieusement
répertoriées et représentées par des monosyllabes
: ka, ta, din, dha, tine, etc. Elles permettent
au musicien de mémoriser des phases rythmiques complexes et de l'aider
dans les importants passages improvisés, qui s'élèvent
parfois en de véritables vocalises.
Les nombreux événements
historiques et culturels qui ont jalonné le deuxième millénaire
ont eu une influence déterminante dans le partage et l'évolution
des différentes formes musicales classiques en Inde. Entre le VIème
et le XVIIIème siècle, le mouvement bhakti vit des milliers
de chanteurs et poètes offrir des chants dévotionnels aux dieux
Shiva, Râma, ou Krishna. Depuis les groupes de saints poètes Alvârs
et Nâyanmârs dans le sud de l'Inde, jusqu'à l'âge d'or
de la dévotion krishnaïte au XVIème siècle, représenté
par Soûr-Dâs, Mîrâbâî, et bien d'autres,
en passant par la poésie mystique de Kabir, ces dévots-poètes,
par leur quête et leur sagesse, leurs compositions
de poèmes passionnés, et leur désir d'union avec Dieu,
exprimaient une voie contestataire et subversive dans laquelle la musique put
s'épanouir avec spontanéité et faire la part belle aux
langues régionales comme le braj. Soûr-Dâs exprimaient
ainsi les accents irrésistibles de la flûte de Krishna : «
Une seule note, et tous sont égarés par l'exquise mélodie
de sa flûte ! Dans l'eau et sur la terre, tous les êtres vivants
s'immobilisent et les grands sages s'affligent dans leur âme... En l'entendant,
le vent s'est arrêté et la Jamna coule en sens inverse ! »(18) Ce mouvement aida au développement de l'activité
musicale parmi les couches les plus pauvres de la société, rapprocha
profondément la musique du caractère religieux et dévotionnel
de ses origines, et lui apporta une spontanéité et une folie inconnue
jusqu'alors, que l'on peut encore entendre aujourd'hui dans les chants rebelles
et rafraîchissants des chanteurs Bâuls du Bengale. Dès le
début du second millénaire, l'influence des premiers bhaktas
déboucha sur l'apparition d'une forme de composition musicale et littéraire
appelée prabandha. La Gîtâ-Govinda, une série
de chants décrivant l'amour de Krishna pour sa bien-aimée Râdhâ,
composée par Jayadeva en 1153, en est le plus bel exemple. Elle fut une
des toutes premières compositions arrangées selon un râga
et un tâla particuliers. C'est aussi à cette époque
que fut rédigé le Sangîta Ratnakara, "la
mine de diamants de la musique"(19) de Sarngadeva
(1210-1247), un des traités musicaux les plus importants avec le Nâtya-shâstra.
Il passe en revue, avec une volonté de synthèse, les différents
aspects de la musique indienne connus jusqu'alors, et revendique une musique
non figée, soulignant le rôle et la complexité des évolutions
musicales régionales. C'est le dernier traité à pouvoir
servir de référence commune pour l'ensemble des traditions musicales
classiques de l'Inde. Cette période va en effet déboucher, avec
la colonisation musulmane, sur la séparation de la musique indienne entre
d'un côté la musique carnatique du sud, plus fidèle
aux valeurs musicales de tradition hindoue, et de l'autre la musique hindoustani
du nord, exposée à la présence et à l'influence
musulmane.
La conquête musulmane en Inde débuta
au XIIème siècle et dura plus de 600 ans, c'est-à-dire
jusqu'à l'arrivée des Britanniques. Le nord de l'Inde était
alors dirigé par de nombreux rois musulmans, d'origine turque, afghane,
ou iranienne, qui apportèrent avec eux une culture persane aristocratique.
En cette période de guerres et de rivalités incessantes, de nombreux
musiciens indiens étaient, comme des butins de guerre, amenés
à la cour des monarques qui patronnaient alors la musique et les arts.
Contraints d'adapter leur musique au goût de leurs nouveaux maîtres,
ils s'enrichirent également au contact des musiciens originaires du monde
arabo-persan et de leurs instruments, une émulation qui influa profondément
sur l'évolution de la musique hindoustani naissante. Leur culture musicale
étant largement définie par des textes sanskrits incompris des
musulmans ou trop orientés en faveur de l'hindouisme, les chanteurs indiens
privilégièrent l'emploi des dialectes locaux ou de simples syllabes,
et jouèrent une musique davantage basée sur la performance et
l'improvisation que sur la théorie. Egalement, l'idée assez conforme
à la sentimentalité musulmane d'associer certains râgas
à des moments particuliers s'est largement développée.
Ces différents aspects caractérisent encore aujourd'hui la musique
hindoustani. L'Islam orthodoxe n'était pas très en faveur de la
musique, mais la présence des doctrines soufies au sein de la noblesse
musulmane eut une grande influence sur l'intérêt qui fut alors
porté aux hindous du peuple, à leur littérature, et à
leur musique. Le soufisme, la forme la plus mystique de l'islam, considère
la musique comme un moyen d'accéder à Dieu. Cette doctrine trouva
donc une résonance particulière avec l'hindouisme, religion mystique
par excellence, ainsi qu'avec le mouvement bhakti de dévotion
et d'amour envers un dieu personnel. De très grands philosophes et poètes
musiciens tels Kabir ou Nânak, le fondateur de la religion sikhe, ont
appartenu à cette branche de l'islam. Amir Khusro Dehlavi (1253-1325)
fut un célèbre poète et musicien à la double origine
indienne et musulmane. Fort de son profond amour et respect pour la musique
indienne, qu'il tenait pour supérieure à celle de tout autre pays,
il influa sur l'évolution musicale de très nombreuses cours de
l'Inde musulmane, et fut à l'origine de nouveaux styles musicaux. Il
est considéré comme l'un des pères fondateurs de la musique
hindoustani, musique qui connut son âge d'or pendant la dynastie des Moghols
entre 1526 et 1857, notamment sous les règnes d'Akbar et de Shah Jahan
qui furent des amateurs éclairés. A la cour d'Akbar, les nombreux
musiciens étaient répartis en sept groupes, un pour chaque jour
de la semaine. Parmi eux, il y eut de très célèbres et
talentueux musiciens, comme le légendaire Tansen, considéré
comme l'un des neuf joyaux (navaratha) de la Cour d'Akbar, et dont le
nom Tâna Séna signifie "Maître des ornements
mélodiques". Assurément un des plus grands musiciens de l'histoire
de l'Inde, son autorité fut considérable et nombre d'histoires
et de légendes circulent à son sujet. Ses joutes musicales avec
Baiju Bawra sont célèbres et ont fait l'objet d'un film.(20)
Partagé entre ses origines hindoues et sa soif de notoriété,
il composa aussi bien des chants religieux mystiques que des oeuvres profanes.
Il fut le disciple de Swami Haridas, un saint-dévot de Krishna retiré
du monde, dont l'influence musicale fut énorme. Vers la fin de la dynastie
moghole, l'empereur Aurangzeb (1658-1707) bannit la musique durant les dix années
de son règne, interdisant toute performance publique et ordonnant la
destruction des instruments de musique. Selon sa volonté, la musique
disparut alors presque entièrement de l'empire musulman indien. C'est
pourtant dans les cours mogholes qu'ont prospéré les styles musicaux
qui forment encore aujourd'hui l'essentiel de la musique vocale hindoustani
: le dhrupad, le khyâl, le thumrî, et bien
d'autres. Le dhrupad, un style de chant d'origine très ancienne,
est formé d'une composition poétique sur laquelle est développé
un râga particulier. C'est une musique essentiellement dévotionnelle,
presque dépourvue d'ornements, aussi subtile et raffinée qu'elle
est exigeante et austère, mais qui tend à se raréfier.
Le khyal, un terme qui signifie "imagination", est une forme
plus légère du dhrupad, plus riche en ornementations. C'est,
comme le dit justement Alain Daniélou, le bel canto de la musique
indienne. Une de ses principales caractéristiques est l'a-kar tana,
un chant rapide et chevroté utilisant la syllabe â. Au-delà
de ces deux styles exigeants existe toute une palette de styles vocaux plus
légers, ou semi-classiques, généralement joués en
fin de concert. Le très populaire thumrî est une poésie
dévotionnelle et romantique, traditionnellement chantée par les
femmes, qui puise son inspiration dans des thèmes amoureux comme les
légendes liées à Krishna. Bien d'autres styles existent,
issus du dhrupad ou du thumri, comme les dhamâr,
dadrâ, tarânâ, ou tappâ. Toujours
romantiques et légers, ils se différencient par l'importance plus
ou moins grande accordée à l'ornementation ou au rythme. Enfin,
le ghazal, mot d'origine arabe qui signifie littéralement "parler
aux femmes", est un genre poétique populaire à résonance
mystique, profondément influencé par le Qasida, une poésie
panégyrique persane du Xème siècle. Il existe d'autres
formes musicales mystiques comme le fameux bhajan hindoue, et le qawwâlî
musulman. L'influence arabo-persane sur la musique indienne ne doit pas être
exagérée, car cette dernière, extrêmement avancée
et profondément établie à l'arrivée des musulmans,
était par ailleurs trop différente dans son essence pour pouvoir
être ébranlée dans ses bases. Elle concéda néanmoins
à marier sa splendeur et son intégrité aux couleurs et
aux richesses de la musique persane, et faire ainsi s'épanouir ce mélange
qui fait tout l'enchantement de la musique hindoustani.
A l'abri des contraintes et des influences musulmanes,
la musique du sud de l'Inde est quant à elle restée plus unifiée
et s'est développée conformément à la tradition
hindoue. La place du sanskrit y est restée prépondérante
et la composition a acquis une importance primordiale, à l'égal
de l'improvisation. Elle fut aussi plus proche des temples et des écoles
religieuses que des cours royales. Un de ses tous premiers développements
fut la composition, en sanskrit et en telougou, de nombreux chants dévotionnels
appelés kîrtanas. Annamâchârya, saint-poète
et musicien, en composa plus de 30 000 qui furent gravés sur des plaques
en cuivre. Ces dernières, cachées dans une niche du temple de
Tirumala, restèrent ignorées pendant 400 ans avant d'être
redécouvertes en 1922, sauvant 14 000 kîrtanas de l'oubli.
Le royaume de Vijayanagar fut un des plus grands empires hindous entre le XIVème
et le XVIème siècle, attirant de nombreux artistes de toute la
région. Situé dans l'actuel Etat du Karnataka, il donna à
cette musique son appellation "carnatique", qui signifie également
"traditionnel". A cette époque, de nombreux musiciens de l'époque
furent des saints-poètes vaishnavites de la bhakti, un mouvement
dans lequel la musique du sud de l'Inde puisa ses principaux fondements philosophiques,
plus encore que dans le nord où il fut davantage lié à
une forme de résistance hindoue en marge de l'activité musicale
des cours musulmanes. Parmi eux, Purandara Das (1480-1564) est considéré
comme le père de la musique classique carnatique. Il élabora un
système complet d'enseignement de la musique, comportant des exercices
gradués, qui est toujours celui utilisé de nos jours. Il est à
l'origine de milliers de kritis, une forme de composition issue du kîrtana
qui est encore aujourd'hui à la base de la pratique musicale carnatique.
Quand le royaume de Vijaynagar tomba aux mains des musulmans en 1565, les artistes
et les érudits trouvèrent protection à l'intérieur
de la dynastie des Wodeyars à Mysore, ou de celle des Nayakas à
Madurai et à Thanjavur, dans l'actuel Tamil Nadu. C'est à cette
période, sous le patronage de rois bienveillants et connaisseurs, et
protégée de l'occupation musulmane, que la musique carnatique
connut son plein épanouissement. Le célèbre musicologue
Venkatamakhi, également compositeur et musicien, rédigea un traité
dans lequel il inventa un système de classification des râgas
selon le schéma des 72 mêlakarta, ou "râgas
parents", qui recense toutes les combinaisons possibles de gammes de sept
notes. Affiné par d'autres musicologues, ce système permit la
création de nouveaux râgas et reste celui de référence
encore aujourd'hui. Si de nombreux compositeurs purent alors s'exprimer, puisant
leurs thèmes dans les épisodes de la mythologie hindoue, la musique
restait, comme dans le nord, confinée au milieu élitiste des brahmanes
et des cours royales, les gens du peuple ne s'exprimant qu'au travers des chants
religieux bhajans. Entre 1759 et 1847, les trois grands compositeurs
Tyagaraja, Muttuswami Dikshitar, et Shyama Shastri, mieux connus sous le nom
de la "Trinité" de la musique carnatique, allaient, par leur
talent, révolutionner le cours de la musique et être à l'origine
d'un véritable âge d'or. Plus proches des temples et du culte vaishnavite
que de la cour des rois de Thanjavur, ils s'attachèrent à composer
une musique profondément religieuse qui, en vertu d'une symbiose entre
sophistication et simplicité, put être appréciée
du plus grand nombre. Ils expérimentèrent des centaines de râgas
et perfectionnèrent encore les kritis. Tyagaraja fut sans conteste
le plus célèbre et le plus talentueux d'entre eux. On lui attribue
la composition de plusieurs milliers de kritis dont seulement 700 ont
survécu. Sa légendaire ferveur religieuse l'amena à composer
de manière très spontanée, laissant à ses disciples
le soin de recueillir ses oeuvres. Menant une vie de renoncement et d'austérités,
il refusait d'utiliser son art à des fins matérielles, et continuait
même de mendier sa nourriture en chantant. Sa dévotion au dieu
Râma, à qui il consacra un grand nombre de compositions, ne cessa
de grandir jusqu'à sa mort, à l'âge de 88 ans. Muttuswami
Dikshitar fut quant à lui l'auteur de plus de 300 compositions dont les
mélodies sont empreintes d'un grand classicisme et raffinement. Shyama
Shastri est davantage connu pour la richesse rythmique de ses kritis.
Enfin, Swati Tirunal, un autre compositeur prolifique, composa en de nombreuses
langues des oeuvres pour les deux traditions hindoustani et carnatique. En 1850,
l'évolution de la musique carnatique est complète, avec un système
élaboré de classification des râgas, une méthode
d'enseignement efficace, et un important répertoire de compositions,
dont nous avons déjà vu les formes kîrtana et kriti.
La musique composée (kalpita sangîta) comprend également
le gitam, une forme de composition ancienne, très simple, utilisée
pour l'apprentissage de la musique, le varnam, l'équivalent de
notre étude, et enfin le tillana, une pièce courte utilisant
des syllabes rythmiques rapides (ti-la-na). Restent le râgamalika
(guirlande de râgas), et d'autres formes de composition liées
à la danse et au sentiment amoureux comme le padam ou le jâvali.
Toutes sont inextricablement liées à l'autre aspect fondamental
de la pratique musicale carnatique : la musique improvisée (manôdharma
sangîta).
Du haut de notre promontoire, l'Inde nous offre
à présent le spectacle d'un paysage musical multiple et divers.
Sa musique est à l'image de la vie dans le sous-continent : vibrante,
rythmée, contemplative, douce et mielleuse parfois, ardue et sans concession
souvent, mais toujours avec ce fond d'impénétrabilité et
de sérénité. Il n'est pas ici dans le rôle de la
musique d'exprimer les complexités de la vie quotidienne. La musique
indienne véhicule avant tout une parole et un savoir sacrés, une
vérité non personnelle. Elle vient du ciel, ou plutôt des
profondeurs même de l'humain et de ce qui le constitue, ce qui fait dire
à Peter Yates que « la musique indienne, bien que sa théorie
soit complexe et sa technique si difficile, n'est pas un art, mais la vie même.
»(21) Cette musique n'est jamais, au gré
des compositions, triste, joyeuse, ou héroïque, mais possède
plutôt en son sein des portions de tristesse, de gaieté, ou de
bravoure qui ne forment pas l'essentiel, mais ne sont que des éléments
d'exploration d'un tout. C'est une musique non passionnelle, où le musicien
ne cherche pas à exprimer l'émotion, mais plutôt à
l'imprimer, la décortiquer, l'explorer dans tous ses recoins, pour la
comprendre, la laisser nous surprendre. C'est une musique où l'on développe,
sur un mode donné, toutes les possibilités. Dans cette exploration,
rien n'est laissé de côté, ou sacrifié à une
beauté mélodique conceptuelle. Chaque silence, chaque note, sont
décortiqués, savourés, perçus dans tout ce qu'ils
peuvent contenir et nous apporter. « La danse ni la musique de l'Inde
ne sont pour distraire. Au contraire ; elles sont pour ramener incessamment
le regard de chacun vers le centre intolérable de sa solitude, vers le
Problème, vers l'absurde mais éclatant pouvoir humain — le seul
— de dire non au sommeil de la Terre. Même lorsque la musique ou la danse
des Hindous est gaie, tendre, douce, aimable, elle l'est impitoyablement, elle
l'est en vérité. »(22)
Dans la tradition musicale indienne où
la perception du râga est au coeur de l'émotion esthétique,
la musique se construit petit à petit, note après note, phrase
après phrase, pour former un tout. C'est la perception de l'ensemble
qui est important, ce qui ne contraint pas la mélodie et permet la pratique
de l'improvisation. Pour Isabelle Clinquart, « l'improvosation est
avant tout une création spontanée, un jeu combinatoire et poétique
où le musicien joue de l'identité et de l'altérité
et compose avec l'éphémère. »(23)
L'improvisation est là pour révéler et dessiner plus encore
les contours du râga, déjà précisés
dans la partie composée. Elle le fait d'autant mieux qu'elle s'exerce
dans les limites d'un savoir et d'une théorie musicale complexe nés
d'une tradition millénaire et philosophique. C'est ce cadre, cette tradition,
qui donne au musicien la liberté d'improviser, d'explorer. Sa spontanéité
n'est pas échevelée, hasardeuse. Elle est dirigée, inscrite
à l'intérieur de règles qui lui permettent de s'exprimer
de façon intelligible et originale, porteuse de sens. « Il n'interprète
pas ; il est. Une tradition orale est une chose merveilleuse, qui garde le sens
et le dessein vivants et accessibles. Dès qu'une idée est confinée
à la page imprimée, on a besoin d'un interprète pour la
révéler. Le musicien indien n'a besoin d'aucun intermédiaire
; il crée en public et n'en garde aucune trace. »(24)
Grâce à l'improvisation, et à l'importance limitée
donnée à la composition, la tradition musicale indienne ne s'est
jamais figée. Elle est restée vivante, en mouvement, se renouvelant
et évoluant sans cesse.
La beauté et la spécificité
de la musique indienne ont été mis en valeur par une extraordinaire
variété d'instruments. Dans les temps védiques, la musique
instrumentale était déjà présente lors des cérémonies
sacrificielles, et était dominée principalement par la vîna,
la flûte, et le tambour. Au cours des âges, le terme "vîna"
a été employé de façon généraliste
pour désigner toute une quantité d'instruments différents.
Dans l'Inde ancienne, il représentait différentes sortes de harpes
dont certaines se retrouvent gravées sur des sceaux vieux de 4000 ans.
La littérature tamoule ancienne fait de son côté mention
du yazh, un instrument dont une variété avait jusqu'à
mille cordes. Le Nâtya-shâstra est le premier traité
à répartir les instruments (atodya, un terme remplacé
plus tard par vâdya) selon une classification qui reste valable
de nos jours en Occident. Il y a donc ghana, qui comprend les instruments
solides comme les cymbales ou les cloches ; avanaddha, les instruments
à membranes comme les tambours ; sushira, les instruments à
vent dont les flûtes ; et enfin tata désigne les instruments
à cordes comme la vîna ou le sitar.(25)
Les tambours occupent une place très importante et se déclinent
en des formes et des variétés nombreuses. Une légende nous
raconte qu'ils ont été créés par un musicien ascète
nommé Svati qui, se rendant près d'un étang, fut témoin
d'une tempête terrible avec des pluies torrentielles. Chaque goutte claquait
en rythme sur les feuilles de lotus et toute une gamme de sons, tantôt
clairs, tantôt profonds, se faisait entendre. Emerveillé, Svati
décida, avec l'aide de Vishvakarman, le maître de tous les arts,
de reproduire ce langage des éléments au travers une grande diversité
d'instruments. Parmi les instruments les plus anciens, il faut citer les nombreux
tambours horizontaux bifaces comme le mridangam, le tambour classique
utilisé dans la musique carnatique, et le pakhavaj, utilisé
dans la musique dhrupad. Les instruments à vent sont également
largement représentés par les trompettes et les cors utilisés
dans la musique de temple, les différente flûtes, et le shehnaï,
sorte de hautbois aujourd'hui utilisé sur la scène classique.
Tous ces instruments se retrouvent, avec la vîna, sur les fresques des
temples d'Ajanta, d'Amaravati, et de Sanchi, dans les mains de dieux ou de grands
sages célestes. La cosmogonie ancienne explique ainsi la relation de
chaque instrument à l'espace : « Le son de la flûte est
le plus lointain, il est lié au nad, c'est-à-dire le néant,
à l'infini situé au-delà du visible. Puis les divers instruments
à vents à anche, comme le shehnaï peuplent l'univers visible
des étoiles. Ceux à embouts, trompettes et autres, sont à
la surface de l'atmosphère. Les instruments à cordes à
archet sont ceux qui pénètrent l'atmosphère. Ceux à
cordes pincées suivent, allant des plus aigus aux plus graves vers le
sol. Les instruments à percussion se situent au niveau du sol, ou bien
ils viennent de l'intérieur de la terre et en indiquent le mouvement
ou la résonance. »(26) L'arrivée
des musulmans a bouleversé le paysage instrumental. L'ancienne fonction
du bourdon, auparavant remplie par divers instruments, l'est aujourd'hui par
un luth apparu au XVIème siècle, le tambura. Le sarangi,
quant à lui, un instrument à archet très prisé dans
les milieux populaires de la musique folklorique ou de courtisanes, trouva sa
place dans l'accompagnement vocal des tradition dhrupad et khyal
en vogue dans les cours musulmanes. Certains autres instruments évoluèrent
au contact de ceux importés du monde arabo-persan, pour donner naissance,
à partir du XVIIIème siécle, au sitar, au sarod,
et au tabla, qui dominent actuellement la scène musicale hindoustani.
Avec l'arrivée des Britanniques, de nouveaux instruments ont été
adoptés. Le plus célèbre d'entre eux est le violon, apparu
il y a deux siècles environ, et aujourd'hui devenu l'instrument le plus
utilisé dans la musique carnatique. Par ailleurs, avec le développement
des fanfares, très prisées dans la musique militaire et les processions
de rue liées à la fête, certains instruments comme la clarinette,
le saxophone, mais aussi la guitare et la mandoline, ont été adaptés
et sont aujourd'hui joués par certains jeunes musiciens classiques. C'est
une habitude de longue date chez les musiciens indiens de constamment rechercher
et adopter de nouveaux instruments appropriés à leur forme de
musique particulière. Une autre conséquence de l'influence occidentale
fut le déclin du sarangi, un instrument très difficile
à jouer et par ailleurs socialement mal accepté, remplacé
aujourd'hui par l'harmonium, au demeurant contesté. Il illustre le problème
de certains instruments occidentaux, fabriqués pour jouer les 12 notes
de la gamme tempérée, et donc pas toujours appropriés pour
rendre toutes les subtilités ornementales et micro-tonales de la musique
indienne. L'harmonium est cependant largement utilisé aujourd'hui dans
l'accompagnement du chant khyal. Enfin, la vîna, le
plus mythique des instruments indiens, n'est aujourd'hui plus jouée que
par de rares interprètes, principalement à cause du déclin
de l'exigeante musique dhrupad avec laquelle elle était associée.
Le concert public est relativement récent
en Inde, la musique n'étant auparavant jouée que dans les enceintes
des cours royales et des temples. Trois à sept musiciens y participent
en général, assis en tailleur, déchaussés comme
le veut la tradition. L'artiste principal,(27)
au centre de l'estrade, est un instrumentiste ou un chanteur. Assis de part
et d'autre, on trouve un percussionniste et parfois un instrumentiste accompagnateur,
comme le violoniste dans la musique carnatique. Un ou deux joueurs de tambura,
souvent des disciples, se tiennent à l'arrière, parfois avec d'autres
percussionnistes. La répétition d'avant concert est chose inconnue
en Inde, et il arrive que les musiciens comme le public n'apprennent l'identité
du râga choisi par l'artiste qu'au dernier moment, voire même
à l'audition des premières notes. Un concert de musique classique
indienne se déroule selon des codes précis qu'il est utile d'expliciter.(28)
Dans la musique hindoustani, le concert instrumental, qui est presque entièrement
improvisé, débute par le très méditatif alâp,
un mouvement très lent, dépourvu de rythme, où le musicien
explore longuement les différents éléments et subtilités
du râga. Après ce mouvement introspectif, l'instrumentiste
entre dans la partie appelée jor, où le râga
continue d'être exposé, mais avec l'introduction d'un motif rythmique,
et une accélération du tempo. A ce stade, il n'y a encore ni tâla
particulier, ni percussion. C'est dans ces deux parties que sont appréciées
la capacité du musicien à faire vivre le râga, ainsi
que sa créativité et sa profondeur artistique. Il existe aussi
un troisième mouvement, appelé jhala, dans lequel la rapidité
d'exécution atteint son paroxysme. Après ce long préliminaire,
la partie composée, ou gat, est jouée en alternance avec
des passages improvisés. Le joueur de percussion entre alors en action,
et un tâla particulier est respecté. C'est l'occasion de
joutes rythmiques complexes, avec des contretemps, des divergences de rythme,
et des retrouvailles synchronisées dont l'auditoire est friand. Dans
la musique vocale khyal, un court alâp de quelques minutes
est chanté de manière solfiée (sa, ri, ga)
ou simplement sur la seule voyelle â. La composition (bandish)
est ensuite directement interprétée en deux mouvements successifs
: le bhada khayal, assez long et au tempo lent (vilambit), et
le chota khayal, plus court, d'un tempo rapide (dhrut), et généralement
joué dans un tâla différent. L'interprète
chante une courte composition poétique aux mots souvent inaudibles —
la primauté allant au râga — formée de deux sections,
le sthâyi et l'antara. Le texte est parfois entrecoupé
de passages solfiés improvisés (sargams), ou de variations
sur une phrase musicale (tâns). A la fin du concert, qu'il soit
vocal ou instrumental, quelques pièces courtes de musique légère
sont jouées comme le thumri, le bhajan, ou le râga-mâlika.
Le concert carnatique est quant à lui davantage centré sur les
compositions. L'interprète les choisit lui-même à l'avance,
variant les râgas et tâlas, organisant son concert
comme un véritable menu. La voix est ici prédominante, et il n'y
a pas de différences notables entre un concert vocal ou instrumental.
Le récital débute traditionnellement par un varnam, une
composition technique assez rapide, constituée d'un texte court ou de
passages solfiés. Suivent ensuite différents kritis empruntés
pour la plupart aux compositeurs de la trinité, et dont un au moins servira
de base à toute une panoplie d'improvisations. La première est
l'âlâpana, une sorte d'adagio sans rythme ni paroles qui
expose le râga, et au cours de laquelle un violoniste accompagne
le chanteur en suivant quasi-simultanément son exploration mélodique.
Le kriti est ensuite joué selon le râga et le tâla
fixés par le compositeur. Toutes les compositions carnatiques sont formées
de trois parties : le pallavi, qui sert de ligne thématique, l'anupallavi,
pour développer, et enfin le charana, qui vient en conclusion.
D'autres formes d'improvisation peuvent être jouées pendant le
kriti, comme le niraval, des variations sur une phrase mélodique
donnée, le kalpana svara, un passage solfié, ou une improvisation
purement rythmique, le tani avartanam. Le morceau de choix dans l'improvisation
est le râgam-tânam-pallavi. Le râgam (râga
âlâpanam) élabore le thème du râga,
le tânam poursuit en introduisant un élément rythmique
sans percussion, et le pallavi enfin est une variation sur une phrase
selon des tempos et un tâla particuliers. Le terme pallavi
est d'ailleurs dérivé des trois mots pada
(texte), laya (rhythme) et vinyâsam
(variations). A la fin du concert, des pièces courtes semi-classiques
sont jouées comme le padam, le jâvali, ou le thillana.
Le mangalam, une prière pour la paix et la prospérité,
est chantée pour ponctuer le concert. Ananda Coomaraswamy a décrit
la philosophie à l'oeuvre dans le déroulement d'un concert : «
Ici, le son du tambura qui se fait entendre avant le chant, pendant le chant
et se continue après le chant, c'est l'Absolu, où le temps n'existe
pas, qui fut, est, sera éternellement. Le chant lui-même, c'est
la variété de la Nature, surgissant de sa source pour y revenir
à la fin de son cycle. L'harmonie de ce fond continu sur lequel se déroulent
les enchevêtrements du dessin, c'est l'unité de l'Esprit et de
la Matière. »(29)
L'Occident a une histoire particulière
avec la musique indienne, faite d'incompréhension et de fascination.
Pour l'écrivain Jean-Claude Carrière, il n'est pas de passage
plus difficile et plus radical que cette entrée vers une autre musique.
C'est un obstacle plus difficile à franchir que la langue, la nourriture,
ou la religion. La musique de l'Inde s'est pourtant déjà frayée
quelques passages intéressants vers l'Occident. Les civilisations grecque
et indienne ont échangé jadis des notions théoriques. Puis,
à partir du IXème siècle, des tribus nomades originaires
de l'Inde, les Tsiganes, ont essaimé leurs influences musicales sur une
bonne partie de l'Europe orientale, et en Espagne au travers du flamenco. Enfin,
la musique arabe déposa certaines influences indiennes aux portes de
l'Europe. Parmi les missionnaires européens généralement
peu enclins aux cultures orientales païennes, certains furent sensibles
aux qualités musicales à l'oeuvre en Inde. Le voyageur jésuite
Pierre Suau écrivait en 1900 : « L'artiste hindou multiplie
les transpositions d'accents, les syncopes et les contretemps, qu'il exécute
avec une extrême aisance. (...) Quelques-uns de ces Melakartas
déconcertent, il est vrai, des oreilles européennes, mais d'autres
éveillent au fond de l'âme un monde d'impressions nouvelles ; elles
éblouissent par la richesse de leurs ressources, elles font rêver
à un plain-chant infiniment flexible, prodigieusement dentelé.
»(30) Dans les années 30, la troupe
d'Uday Shankar, dans laquelle dansait déjà un certain Ravi Shankar,
fit une tournée européenne qui eut un certain succès. L'intellectuel
français René Daumal fut un des premiers à se passionner
pour cette musique et à la défendre contre les critiques qui ne
voyaient en elle qu'un "système magique incantatoire destiné
à envoûter l'auditoire". A partir des années 50, le
célèbre violoniste prodige Yehudi Menuhin (1912-1999) commença
à s'intéresser à la musique indienne, lui vouant une grande
admiration. Son influence fut immense. Ami du sitariste indien Ravi Shankar,
il organisa le premier concert de musique classique indienne aux États-Unis
en 1955. Pendant la vague hippie des années 60, une partie de la jeunesse
occidentale se tourna vers les spiritualités orientales, et particulièrement
vers l'Inde. Sous l'impulsion de Ravi Shankar avec lequel George Harrison prit
des leçons de sitar, les Beatles incorporèrent certains éléments
de musique indienne dans leurs chansons. Devenu très populaire, Ravi
Shankar fut le premier, avec Yehudi Menuhin, à mélanger les musiques
indienne et occidentale, initiant le mouvement de la world music. D'autres
groupes suivirent, mêlant les talents d'artistes occidentaux comme John
McLaughlin, Peter Gabriel, ou Frank Zappa, à ceux de grands musiciens
indiens comme le joueur de tabla Zakir Hussain, le violoniste L. Subramaniam,
ou plus récemment le flûtiste Hariprasad Chaurasia. Il faut enfin
insister sur l'énorme travail effectué par Alain Daniélou,
qui est, avec Yehudi Menuhin, celui qui oeuvra le plus pour une meilleure connaissance
et diffusion de la musique classique indienne en Occident.(31)
Les années 80 prirent ensuite le relais, avec les débuts de l'immigration
massive des Indiens vers les États-Unis, et donc l'établissement
d'une diaspora soucieuse de promouvoir l'héritage culturel et musical
indien dans le monde occidental. De nombreux musiciens de jazz se sont aussi
intéressés à la musique indienne, intrigués par
certaine similitudes comme l'improvisation ou la richesse rythmique. Ce fut
le cas du guitariste Larry Coryell, de Charles Mingus, ou encore de John Coltrane,
pour qui l'étude de cette musique se doubla d'un intérêt
profond pour la spiritualité hindoue. Le trompettiste Don Ellis remarqua
: « Je connaissais le rythme, le swing, le temps et les différentes
mesures. J’avais déjà écrit une pièce en 19/4 avant
de rencontrer Hari Har, mais ce ne fut qu’après ma rencontre avec lui
que je réalisais combien les musiciens indiens étaient en avance
rythmiquement et combien notre culture était en retard. C’est quand on
comprend les subtilités de leur musique que l’on voit comment elle est
incroyable. »(32)
La musique qui est aujourd'hui jouée en
Inde date du début du XIXème siècle. Cette période
voit l'établissement des fameuses gharanas dans le nord, un terme
dérivé du sanskrit griha qui signifie "famille"
ou "maison". Chaque gharana développait son propre style
musical sous le patronage des États princiers régionaux qui prirent
le relais des cours musulmanes. Empreintes de vénérabilité
et de prestige, ces écoles de pensée jouissaient d'une stabilité
propice au développement de la musique. Parmi les plus connues, citons
la gharana de Gwalior, spécialisée dans les traditions
dhrupad et khyal, ou la gharana Maihar, dont sont issus
certains des plus prodigieux instrumentistes du Nord de l'Inde.(33)
Malgré certaines influences positives, la présence musulmane avait
eu un effet pernicieux sur la musique indienne. Confinée aux cours royales
et associée pendant des siècles au divertissement, elle avait
perdu beaucoup de ses aspects spirituels. De plus, son développement
contraint et incontrôlé l'avait empêchée d'acquérir
les nécessaires fondations grammaticales. Enfin, privée du patronage
si essentiel à sa survie, elle se trouvait en grand danger d'être
éparpillée et livrée à elle-même, coupée
de son lien précieux avec la population pour qui elle était restée
une voie dévotionnelle. Malgré d'indéniables qualités,
les gharanas paraissaient trop refermées sur elles-mêmes,
et contribuaient à accentuer les divisions régionales. Deux grands
penseurs et musiciens vont alors sortir la musique de ses ornières et
la rétablir à l'intérieur d'une tradition musicale unifiée,
à laquelle on donna le nom de musique hindoustani. V. N. Bhatkhande (1860-1936)
est considéré comme le plus grand musicologue de son époque,
et a donné à la musique hindoustani la grammaire qui lui faisait
défaut. Il a recueilli et classifié près de 2000 compositions
issues des gharanas majeures, a inventé un système de notation
musicale, et a aidé à la création d'un collège de
musique. Par son travail d'analyse et de documentation des différentes
traditions musicales de l'époque, par ses nombreuses conférences
et réunions où il n'avait de cesse de rassembler les différents
artistes et musicologues, il peut à juste titre être considéré
comme le père de la musique hindoustani moderne. Quant à V. D.
Paluskar (1872-1931), il a fortement contribué à démocratiser
la musique et à la rendre plus accessible. Il a fondé la première
école de musique sur des fonds publics à Lahore en 1901. En institutionnalisant
l'enseignement musical, il a créé les conditions qui permettent
aujourd'hui à des cours de musique instrumentale et vocale, ainsi que
de musicologie, d'être proposés dans les universités indiennes.
Dans le sud de l'Inde, la scène musicale fut pendant un temps dominée
par les disciples des compositeurs de la trinité. Puis, au début
du XXème siècle, Madras est devenu le nouveau centre de la musique
carnatique, se dotant dès 1927 d'un important festival et d'une Académie
de musique. Après l'indépendance, le nouvel Etat du Pakistan a
vu ses grandes familles sikhes et hindoues qui patronnaient la musique émigrer
vers l'Inde, entraînant avec elles de nombreux artistes musulmans. Cela,
ajouté au manque de volonté du gouvernement, a abouti à
la quasi-disparition de la musique classique hindoustani dans ce pays, à
l'exception notable du ghazal et du Qawwali, de pure tradition
musulmane. La nouvelle république indienne assuma quant à elle
l'héritage de la tradition hindoustani avec toutes ses influences, et
la musique continua de se développer. Cependant, l'arrivée de
nouvelles technologies allait profondément influer sur l'évolution
et la place de la musique classique en Inde. Ce fut d'abord le tout premier
enregistrement réalisé à Calcutta en 1902. Dès les
années 30, le réseau radiophonique All India Radio (AIR)
adopta une politique énergique de diffusion et de promotion de la musique
classique indienne, à laquelle ont participé les plus grands musiciens.
Ce fut ensuite l'utilisation des micros et de l'amplification qui a permis à
un public de plus en plus nombreux d'assister aux concerts, donnant aux artistes
la possibilité de vivre de leur musique, et d'être ainsi plus indépendants.
De plus, les chanteurs, qui n'avaient plus besoin de projeter leur voix pour
être entendus, adoptèrent une technique vocale plus douce, plus
veloutée. L'arrivée des cassettes dans les années 70 fut
une immense révolution. Elles étaient bon marché et pouvaient
être facilement écoutées partout, dans chaque foyer, contribuant
à démocratiser encore davantage la musique en Inde. Plus onéreux,
les premiers CDs apparus dans les années 80 n'ont pas connu le même
succès. Cependant, les cassettes, en relayant de nouvelles formes musicales
comme la pop et les chansons du cinéma indien, détournèrent
la jeunesse de la musique classique. Une société appelée
SPICMACAY (34) fut alors créée en
1977 à Delhi, avec pour but d'organiser des concerts et de promouvoir
la culture et la musique classique auprès des jeunes des écoles
indiennes. Enfin, suite à la popularité grandissante de la musique
classique indienne en Occident, les années 90 ont vu l'émergence
de nombreux labels spécialisés dans les traditions hindoustani
et carnatique.(35)
En Inde, la musique emprunte des chemins symboliques inattendus. Le mot sanskrit Bharata, qui désigne l'Inde, est formé des trois notions fondamentales à la musique indienne que sont bhava (sentiment), raga (couleur) et tala (rythme), accentuant les liens indéfectibles qui unissent dans ce pays le théâtre, la musique, et la danse, reflets dans nos vies humaines de la pensée, la parole, et l'action. La tradition musicale indienne, qui compte parmi les plus anciennes au monde, est une des rares à s'être perpétuée de manière ininterrompue jusqu'à nos jours. Elle s'est développée sur le terreau du rituel et de la religion, s'est associée au théâtre et à la danse, avant de faire partie de la voie dévotionnelle bhakti du Moyen Age. Elle a subi des influences étrangères, été jouée dans les cours royales, telle une musique de chambre, devant une poignée de connaisseurs, pour enfin se démocratiser et s'offrir aux foules nombreuses, s'exporter jusqu'aux confins même de l'Occident. Ce voyage, elle l'a accompli sans jamais renier son identité. Comme le dit si bien Ananda Coomaraswamy, « l'Inde nous présente ici, comme dans les autres arts et comme dans la vie, le spectacle merveilleux de la survivance du monde antique. »(36) Mais si la musique classique indienne se porte bien aujourd'hui, elle n'est cependant pas à l'abri de certains écueils. Le joueur de sarod Buddhadev Das Gupta s'inquiète de sa très large exposition publique et du manque d'éducation artistique des spectateurs. Des interprétations magnifiques sont accueillies dans l'indifférence, et d'autres plus modestes recueillent des tonnerres d'applaudissement. Avec la liberté que lui confère cette musique vivante et créative, vouée à l'improvisation, le musicien indien, à la différence de son confrère occidental qui est lié par l'oeuvre du compositeur, est très vulnérable devant la demande implicite du public. Il peut être tenté de raccourcir les concerts, de privilégier les moments de technique et de virtuosité au détriment des longues et méditatives explorations des râgas. Déjà, le concept traditionnel de la correspondance des râgas à des moments particuliers a perdu de sa valeur, les concerts étant toujours joués en soirée, et l'ancienne tradition d'enseignement de maître à disciple (guru-shishya-paranpara) est également affaiblie. Nous avons vu l'importance d'une éducation musicale à l'école, accessible à tous et correctement évaluée, mais la musique indienne, non notée, basée sur l'écoute et la mémoire, sur la lente assimilation par la répétition, a aussi besoin de ce lien privilégié qui unit un maître à son élève. C'est dans cette relation que peut s'épanouir la flamme spirituelle qui a fait naître l'art musical en Inde, et qui lui donne encore aujourd'hui toute sa force et son sens. Une formule dit en Inde : « A travers svara (note), Isvara (Dieu) est réalisé ». V. D. Paluskar, le père de l'enseignement musical à l'école, estimait il y a déjà près d'un siècle que la musique ne devait pas seulement être divertissante, mais qu'elle avait également pour fonction d'élever et d'inspirer. Malgré l'impact de l'influence occidentale, il est remarquable de noter que la musique classique indienne n'a pratiquement jamais été influencée par la musique occidentale. Yehudi Menuhin la comparait à un pur cristal, qui « forme un monde propre parfait et perfectionné, que de quelconques mélanges ne pourraient qu'appauvrir. »(37) Inaltérable et incorruptible, son appréciation en Occident est encore matière à difficultés. Beaucoup continuent de la trouver répétitive et monotone. Elle mérite pourtant d'être comprise, appréciée à sa juste valeur, et soutenue. Cette musique modale, basée sur les râgas, exige de nous une écoute différente, une autre façon d'appréhender l'univers musical. L'écrivain et observateur attentif de l'Inde Jean-Claude Carrière nous livre à ce sujet un intéressant parallèle : « La lumière est à la fois onde et particules. Si l'on remplace "lumière" par "musique", à coup sûr l'Occident a choisi la particule, le morcellement note par note, en abrégeant ces notes, et en les accolant autant que faire se peut. L'Inde choisit l'onde, une sorte de courant fait de particules, mais si intimement fondues qu'elles ne forment, en passant par toutes les nuances du son, qu'une seule vibration linéaire. »(38) Un des clichés occidentaux les plus insupportables et injustifiés sur la musique indienne est son association systématique avec une forme de pseudo-spiritualité ou de comportement zen, une étiquette baba cool commode, tellement éloigné de la réalité musicale indienne sérieuse et exigeante. Cela montre en fait notre incapacité de retrouver les chemins oubliés de la musique modale, pourtant déjà pratiquée en Occident, à différents degrés, par Platon en Grèce, les troubadours du Moyen Age, ou certains grands compositeurs comme Chopin, Berlioz, et Liszt. Comme nous le rappelle Louis Soret, trois ou quatre milliards d’individus sur terre n’écoutent aujourd'hui que de la musique modale. Cette écoute ne demande qu'à être remise en action. « La modalité a un avantage, elle s’adresse à une région de l’esprit qui n’est ni l’intellect, ni le bulbe rachidien, mais plutôt un endroit au niveau du cœur, et elle a toujours ses chances. »(39)
2005
© Alain Joly
Notes :
(1) "Le Gîtâlamkâra"
(L'ouvrage original de Bharata sur la musique, p.3) - Traduit par Alain Daniélou
et N.R. Bhatt - Institut Français d'Indologie de Pondichéry, 1959.
Le Gîtâlamkâra
est l'un des plus anciens traités connus sur la théorie musicale
en Inde. Il serait antérieur au IIIe siècle av. J.-C.
(2) "The
Rhythm of Music - A Magical and Mystical Harmony"
- Un article de Nitin Kumar - (www.exoticindia.com)
(3) "Commentaires sur la vie" (Tome III),
par Jiddu Krishnamurti (p.136) - Editions Buchet-Chastel, 1973.
(4) (23)
"Musique d'Inde du Sud
- Petit traité de musique carnatique"
(pp. 21 & 97), par Isabelle Clinquart - Cité de la Musique / Actes
Sud, 2001.
(5) (13) "L'Inde et la Musique" de Mme Humbert-Sauvageot
- Message actuel de l'Inde, (pp.277 & 278) - Les Cahiers du Sud, 1941.
(6) (8)
(17) (24) "Unfinished Journey", de Yehudi Menuhin
- Macdonald and Jane's, 1977.
Sir Yehudi Menuhin (1912-1999) fut un violoniste, altiste et chef d'orchestre
américain. Né à Berlin, il a vécu principalement
en Grande-Bretagne, et est connu pour être un des plus grands violonistes
du XXème siècle. Il a fondé la Yehudi
Menuhin School et la Yehudi
Menuhin Foundation qui soutient les jeunes musiciens
de talent du monde entier.
(7) "Yajnavalkya Smriti" (III, 115). Ecrit par le sage Yajnavalkya, ce texte est consulté
pour toute chose ayant rapport à la loi hindoue dans l'antiquité.
Il fait partie des textes de la Smriti, c'est-à-dire issus de la "Tradition"(Mahâbhârata, Râmâyana, purânas, etc), opposés aux textes de la Shruti, issus de la "Révélation" (Veda, Upanishads, Sûtras, etc).
(9) "La Demeure de la
Paix" (p.26), par Rabindranath Tagore - Traduit
du bengali par Renée Souchon - Editions Stock, 1998.
(10) Interview des frères Dagar par Laurent
AUBERT - Revue Adyatan n°5 (p.123) - Publications Langues'O (INALCO).
(11) Les sept notes de l'octave
ont pour noms : shadhja,
rishabha, gandhara, madhyama, panchama, dhaivata, nishada. Les
différents shrutis
ont aussi leurs noms comme tivrâ (poignant), prîthi (amoureux) ou alâpinî (conversant). Pour le Narada Samhita (2, 53-54), la note Sa
est présumée représenter l'âme, Ri est la tête, Pa
la gorge. Le Gîtâlamkâra assigne même à chaque note sa caste ! Ainsi sa, ma et pa seraient
des prêtres ; ri et
dha des chevaliers ; ga est un marchand et ni un ouvrier.
(12) "Pour approcher l'art poétique hindou"
de René Daumal - Dans "Approches de l'Inde" (p.205) - Cahiers du Sud, 1949.
René Daumal (1908-1944), poète et intellectuel français,
est connu pour avoir publié de nombreux essais sur des sujets hindous,
ainsi que des textes traduits du sanskrit.
(14) (15)
(31) "Inde du Nord" (Les traditions musicales) par Alain Daniélou (pp.57
& 18) - Editions Buchet-Chastel, 1966.
Alain Daniélou (1907-1994) développa très tôt un
intérêt pour les musiques non européennes. Il vécut
plus de 20 ans en Inde où il fut professeur chargé de recherches
à l'Université de Bénarès. Il y étudia la
musique classique indienne et la vîna. De retour en Europe, il crée les Instituts de Musique Comparée
de Berlin et Venise, et entreprend avec Yehudi Menuhin et Ravi Shankar de faire
reconnaître la musique classique indienne comme un art savant et non comme
du folklore. On lui doit l'Anthologie de la Musique Classique de l'Inde (Auvidis).
(16) Ce que le Yâjnavalkya-Shikshâ convertit
en termes plus musicaux par cette image empruntée à la nature
: "Le geai bleu parle par [syllabes d'] un temps. Le cri du corbeau dure
deux temps, celui du paon trois temps."
(18) "Pastorales" de Soûr-Dâs
(p.102) - Traduction de Charlotte Vaudeville - Editions Gallimard / Unesco,
1971.
(19) Bien d'autres traités
musicaux ont des noms poétiques comme le Samgîtadarpana "Le miroir de la musique" (1625), ou le Samgîtâ
parijata "L'arbre paradisiaque de la musique".
(20) Le légendaire
musicien et chanteur Baiju Bawra a fait l'objet d'un film populaire de Vijay
Bhatt en 1953. L'apothéose finale le met en scène dans un duel
musical avec Tansen, au cours duquel il va générer suffisamment
d'émotion pour faire fondre un bloc de marbre.
(21) (29) (36) "La danse de Shiva" de A. Coomaraswamy
(pp. 136 à 152) - Tradition Universelle - Editions AWAC, 1979.
Ananda Coomaraswamy (1877-1947), célèbre
philosophe et historien de l'art indien, fut un grand interprète de la
culture indienne en Occident. Peter Yates (1909 -1976) fut critique musical,
auteur, enseignant, et poète.
(22) "Bharata" (L'Origine du Théâtre - La Poésie et la
Musique en Inde) par René Daumal (p.118) - Edition Gallimard, 1970.
(25) Ces termes sanskrits
correspondent respectivement aux idiophones, membranophones, aérophones
et cordophones.
(26) Interview de Martin Dieterle, ami du joueur de
sarangi Ram Narayan depuis
les années 60 et membre fondateur de la Fondation Ram Narayan.
(27) Deux artistes principaux peuvent parfois
jouer ensemble. On appelle ces duos jugalbandhi. Plus courants dans la musique instrumentale, ils sont généralement
composés de deux artistes de la même tradition (hindoustani ou
carnatique), mais aussi parfois d'artistes de traditions différentes,
ou jouant sur des instruments différents. Ne pas confondre avec les groupes
comme les Mishra Brothers,
Bombay Sisters, etc. La plupart
des plus grands instrumentistes ont joué dans des jugalbandhis.
(28) Différentes formes
de composition ou d'improvisation sont présentées selon un ordre
donné pendant un concert. Leurs noms sont utiles à connaître
car ce sont eux que l'on retrouve sur les livrets qui accompagnent chaque CD,
et qui nous aident à nous repérer à l'intérieur
d'une performance musicale. Le format actuel du concert carnatique a été
élaboré par Ariyakudi Ramanuja Iyengar, un des musiciens carnatique
les plus importants et influents du XXème siècle.
(30) "L'Inde
Tamoule" de Pierre Suau, S. J. (en visite dans
la mission de Maduré) - H. Oudin Editeur, 1900.
(32) Article de Jean-Marie Orliange (www.fredunzel.com/divers/Don_Ellis) - Extrait du magazine américain Record
Review de juin 1979.
(33) Annapoorna Devi, Ravi
Shankar, Nikhil Banerjee pour le sitar, Ali Akbar Khan pour le sarod, et Pannalal
Ghosh pour la flûte Bansuri, descendent tous de la gharana
Maihar.
(34) SPICMACAY : Société pour la promotion
de la Culture et de la Musique Classique Indienne chez les jeunes.
(35) En France : Makar Records ; en Angleterre : Nimbus Records, Audiorec, Navras Records ; en Allemagne : Chhanda Dhara ; aux Etats-Unis : Raga Records, India Archive Music.
(37) "Indian and Western Music" par Yehudi Menuhin - Hemisphere, April 1962.
(38) "Dictionnaire amoureux de l'Inde" (p.309), par Jean-Claude Carrière - Editions Plon, 2001.
(39) "La route
des troubadours"- Interview par le Centre de
Musiques Traditionnelles Rhône-Alpes - (www.cmtra.org/entretiens/archivelettres/lettre56/Louissoret.htm)
Références Texte:
- "Musique d'Inde du Sud" (Petit traité de musique carnatique) par Isabelle Clinquart
- Cité de la Musique / Actes Sud, 2001.
- "Inde du Nord"
(Les traditions musicales) par Alain Daniélou - Editions Buchet-Chastel,
1966.
- "Musical Nirvana"
- (www.musicalnirvana.com).
- "ITC Sangeet Research Academy" - (www.itcsra.org).
- "South Asian Arts - Music"
- (www.musicology.nl)
Bibliographie :
- "La Musique de
l'Inde du nord" par Alain Daniélou (Collection
Hermès) - Fata Morgana, 1995.
- "Musique d'Inde du Sud"
(Petit traité de musique carnatique) par Isabelle Clinquart - Cité
de la Musique / Actes Sud, 2001.
- "The Raga Guide"
(A Survey of 74 Hindustani Ragas) - Un livre avec 4 CDs. - Hariprasad Chaurasia
(flûte), Buddhadev Dasgupta (sarod), Shruti Sadolikar-Katkar (vocal),
Vidyadhar Vyas (vocal) - Neil Sorell, Songlines.
- "Musical Instruments of India" par B. Chaitanya Deva - Munshiram Manoharlal Publishers, 2000.
- "Au Rythme du Raga"
(de Calcutta à Bombay) par Philippe Puget (textes) et Marc Ingrand (illustrations
et graphisme) - Editions Bachari, 2008.
Les Instruments de l'Inde et quelques interprètes :
En Inde, les instruments de musique sont presque toujours
fabriqués de manière traditionnelle, c'est-à-dire manuellement,
grâce au génie et au travail de petits artisans. Chaque instrument
est une oeuvre d'art unique, individuelle, souvent délicatement sculptée
et ouvragée. Leur fabrication nécessite l'emploi d'une quantité
de matériaux très divers : différentes espèces de
bois (teck, jacquier, bambou, roseau), ivoire, corne d'antilope, peaux de chèvre,
de buffle, ou de lézard, faïence, métal, calebasse, papier
mâché, fer, cuivre, boyau, etc. Les instruments ne sont pas encore
figés en Inde. Les grands interprètes dont il est proposé
une liste partielle ci-après ont tous été des novateurs,
et ont souvent modifié leur instrument et la façon traditionnelle
d'en jouer. Presque tous sont issus de familles de musiciens, parfois même
appartenant à une longue lignée, et ont reçu de très
nombreux prix. Les termes "pandit", "ustad", "smt",
"sri", sont des titres honorifiques signifiant "maître",
"enseignant", ou "érudit", qui varient selon le sexe
ou la religion. La place des femmes dans la musique classique a été
acquise relativement récemment, grâce à quelques précurseurs
de génie. Vous trouverez au bas de la page des adresses de sites qui
proposent des CDs de la plupart de ces interprètes.
LE TAMBURA |
LE SITAR Vilayat Khan (1927-2004) |
LA VINA Zia Mohiuddin Dagar (1929-1990) |
LE SAROD Amjad Ali Khan |
LE SARANGI Ram Narayan |
LE TABLA Zakhir Hussain |
LE MRIDANGAM |
LE PAKHAWAJ LA FLUTE Hariprasad Chaurasia Shashank LE SHEHNAI Bismillah Khan LE VIOLON T.N. Krishnan L'HARMONIUM AUTRES INSTRUMENTS Shivkumar Sharma LA VOIX Semmangudi R. Srinivasa Iyer (1908-2003) M.S. Subbalakshmi (1916-2004) Ramnad Krishnan (1918-1973) D.K. Pattammal Zahiruddin et Faiyazuddin Dagar Uday Bhawalkar Bhimsen Joshi Amir Khan (1912-1974) Lakshmi Shankar Girija Devi Begum Akhtar (1914-1974) |
Notes Instruments & Interprètes :
(1) Les qualités
sonores du sarangi sont souvent
exploités dans les films, notamment pour les moments poignants, douloureux.
(2) "Le
Gîtâlamkâra", p.25 [Samgîta-makaranda, I. 4. 33-38]
- Traduit par Alain Daniélou et N.R. Bhatt - Institut Français
d'Indologie de Pondichéry, 1959.
Le Gîtâlamkâra
est l'un des plus anciens traités connus sur la théorie musicale
en Inde. Il serait antérieur au IIIe siècle av. J.-C.
Références Instruments & Interprètes
:
- "Musical Instruments of India" par B. Chaitanya Deva - Munshiram Manoharlal Publishers, 2000.
- "Catalogue of Musical Instruments" par P. Sambamoorthy - Government Museum, Madras 1976.
- "Musical Nirvana"
- (www.musicalnirvana.com).
Sources images :
- "Narada avec sa vina",
"Râga Bhaskar"
- © Exotic India Art, 2004.
- Images des Instruments de musique de l'Inde - © Buckingham Music, Inc.
- "Concert at Vancouver's Orpheum theater" (October, 2002) - from Anoushka Shankar's Photo Album - ©
Ravi Shankar Foundation.
Bibliographie :
- "La Musique de
l'Inde du nord" par Alain Daniélou (Collection
Hermès) - Fata Morgana, 1995.
- "Musique d'Inde du Sud"
(Petit traité de musique carnatique) par Isabelle Clinquart - Cité
de la Musique / Actes Sud, 2001.
- "The Raga Guide"
(A Survey of 74 Hindustani Ragas) - Un livre avec 4 CDs. - Hariprasad Chaurasia
(flûte), Buddhadev Dasgupta (sarod), Shruti Sadolikar-Katkar (vocal),
Vidyadhar Vyas (vocal) - Neil Sorell, Songlines.
- "Musical Instruments of India" par B. Chaitanya Deva - Munshiram Manoharlal Publishers, 2000.
- "Au Rythme du Raga"
(de Calcutta à Bombay) par Philippe Puget (textes) et Marc Ingrand (illustrations
et graphisme) - Editions Bachari, 2008.
Liens sur la musique indienne :
Pour écouter de la musique indienne
:
Patrick Moutal's RagPage
Pour plus de renseignement sur la musique classique indienne
:
La Musique Indienne
Musical Nirvana
Chandra & David's Homepage
ITC Sangeet Research Academy
Ravi Shankar
Le site d'Alain Daniélou
Pour se procurer des instruments de musique
indiens :
Buckingham Music
Pour l'achat de CDs de musique indienne :
Editions du Makar
Sona Rupa
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